Les chevaux d’Ayyanar

À travers tout l’État du Tamil Nadu, beaucoup de villageois vénèrent leurs propres dieux, et en particulier le mystérieux dieu Ayyanar. Il serait le protecteur des villages environnants, en chevauchant la nuit son étalon ou son éléphant blancs, pour écarter les mauvais esprits. Et en meme temps, assurer une bonne moisson, avec des pluies suffisantes. Ces divinités ne font pas partie du panthéon hindou, mais elles permettent aux villageois d’avoir un rapport personnel avec un dieu de leur confection.

Le dieu Ayyanar est un grand type, de peau rouge éclatante, avec une impressionnante moustache noire en “tablier de sapeur”. Il se tient à côté de son étalon, en brandissant une énorme lame menaçante. Souvent, à ses côtés, se tient son lieutenant, Karuppusamy, de peau sombre, souvent avec un tigre compagnon. Occasionnellement, on peut aussi voir Ayyanar posant avec ses deux épouses, de part et d’autre: Purana, qui tient une fleur de lotus, et Pushka qui, elle, tient un nœud coulant.

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Ce qui nous amène aux chevaux en terre cuite, que l’on trouve dans les sanctuaires ou temples, dédiés à Ayyanar. On les trouve en dehors des villes ou villages, souvent derrière des bosquets d’arbres ou au milieu de nulle part, jamais signalés. Il y en a beaucoup dans la région de Chettinad.

Les chevaux sont des figures votives, qui peuvent atteindre jusqu’à 6 mètres de haut, mais le plus souvent font entre 1.0 et 1.5 mètre. On trouve également des éléphants de petite taille aux oreilles écartées, des vaches, des personnages variés, tous peints en couleurs vives.

J’ai rendu visite à un des potiers de la région, vivant à l’arrière d’un petit village. Chaque année, il monte de nouvelles pièces. Sur commande bien sûr, prise longtemps à l’avance.

Un cheval de taille normale prend environ une semaine à faire. Un cheval de taille monumentael prend un mois. Ils sont tous montés d’une seule pièce, plutôt que par morceaux, à reassembler après coup. Puis, ils sont placés dans des fours à poterie assez fruste, ou ils sont cuits pendant plus d’une journée, avec des troncs de palmiers. Bien sûr, étant donné leur taille, une telle cuisson est suffisante pour permettre au cheval de se tenir debout pour l’occasion, mais insuffisante pour survivre plusieurs moussons et pluies diluviennes. Alors avec le temps, les chevaux et autres figurines se lézarderont, puis s’effriteront, et se casseront. Mais peut-être est ça l’idée, car ces offrandes sont pour l’année à venir, pas au-delà. Chaque année doit apporter de nouvelles offrandes, sans cesse renouvelées.

Les Indiens adorent leurs festivals. C’est une façon de rassembler tout le monde pour animer, donner vie à leur paysage mythique. Ainsi, en va-t-il avec le dieu Ayyanar. Chaque année, entre les mois d’avril et aout, un comité de sages, d’astrologues et de prêtres potiers, decide le jour le plus propice pour tenir le festival. Les potiers jouent un role important ici parce qu’en somme, ils transmettent le désir de chaque commanditaire envers son dieu.

Au jour dit, les dévots apportent leurs offrandes au sanctuaire. C’est leur façon de demander au dieu Ayyanar de leur assurer une bonne moisson et la prospérité pour toute la famille. Un poulet est sacrifié et son sang appliqué sur le front d’un des chevaux en terre cuite, pour le rendre vivant en quelque sorte. Chaque membre du clan propose sa figure, souvent un cheval alerte, voir rigolard, joyeux, tout neuf et peint en couleurs éclatantes. Et, bien sûr, tout enguirlandé de fleurs fraiches pour l’occasion. Les offrandes de l’année précédente sont soit repoussés, pour faire place, ou simplement devancés par les nouveaux arrivants pour former une nouvelle rangée. Comme dans un bataillon.

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Le spectacle de ces chevaux, quand bien meme de simples figures en terre cuite, exsudent une joie, une exubérance qui les rend attachants. On aimerait avoir quelque chose de semblable dans son jardin, tellement c’est sympathique. Ils sont non seulement très difficiles à acheter (sauf décommande par un client, pour raison majeure); ils sont aussi très très fragiles à transporter.