Le Rajasthan

J’ai entamé mon périple dans le Nord de l’Inde par le Rajasthan. C’est la plus grande région indienne, qui couvre un peu plus de 10% du pays.

 

Au Nord-Ouest du Rajasthan s’étend le Désert du Thar, où l’Inde a mené ses premiers essais nucléaires souterrains dans les années 70, sous Indira Gandhi.

Au Sud-Est se dresse la chaîne des Aravalli, qui traverse la région en diagonale – l’une des plus anciennes chaînes montagneuses au monde. Elle est réputée pour ses gisements de granit et ses pierres semi-précieuses.

Entre ces deux zones s’étend une vaste région semi-désertique, baptisée le Marwari (la Terre de la Mort). Une zone austère, où l’eau se fait rare. C’est là que passaient les caravanes marchandes, reliant la fertile vallée de l’Indus et les ports du Gujarat à l’Ouest, à la vallée du Gange à l’Est et au Sud verdoyant. Depuis l’Antiquité jusqu’au milieu du XXème siècle, les caravanes de chameaux sillonnaient le Rajasthan et ses célèbres comptoirs.

Des cités comme Mandawa, Jaisalmer, Bikaner, Jaipur et Jodhpur, toutes différentes d’aspect, furent bâties sur le même modèle. À savoir une forteresse massive perchée sur un rocher ou un tertre, qui abritait le Rajput local (fils de roi), protégeant en contrebas la ville marchande, grouillante d’activité. C’est là que vivaient les riches négociants. Et pour afficher leur fortune et leur statut, ceux-ci construisirent leurs fabuleuses Haveli, qui font la renommée du Marwari.

Le mot “Haveli” vient de l’arabe “hawali“, qui signifie “partition” ou “espace privé”.
Les Haveli sont de somptueuses demeures à plusieurs étages, construites selon une architecture hindoue traditionnelle. Elles privilégient les aspects défensifs, utilisent des matériaux locaux, et s’appuient sur un savoir-faire artisanal transmis de génération en génération. En général, ces Haveli possèdent d’épais murs avec des créneaux défensifs, souvent dotés de balcons fermés en encorbellement. L’agencement intérieur peut être complexe, mais comprend généralement deux cours intérieures. La première sert à recevoir les invités et à mener les affaires, tandis que la seconde, plus retirée, est réservée au logement familial et constitue véritablement le domaine des femmes.

Les murs extérieurs des Haveli comportent des fenêtres élaborées et des portes surélevées, pour réguler la température intérieure.

Mandawa

Ma première étape fut Mandawa, qui est aujourd’hui un village somnolent d’environ 2 000 âmes. Comme ailleurs dans le Marwari, le climat y est torride l’été (plus de 40°C) et frisquet les nuits d’hiver. Et l’eau une denrée rare.

Au fur et à mesure que le comptoir commercial se développait, la ville prospéra, elle se dota d’une forteresse protectrice au XVIIe siècle. Autour du fort, les Haveli présentent trois caractéristiques distinctives.

D’abord, elles possèdent un épais mur extérieur, construit avec un mélange d’argile et de chaux, rempli de bulles d’air. Ce qui permet de maintenir la couche intérieure à température plus ou moins constante, grâce aux bulles d’air emprisonnées. Les façades extérieures sont recouvertes d’un matériau blanc finement broyé, un mélange de chaux et de marbre, qui était soigneusement plâtré et poli avec de la poudre de coquillages, de manière à réfléchir 70% de la lumière directe du soleil.

La deuxième caractéristique est un ingénieux système de climatisation naturelle. La partie supérieure de ces murs était équipée de nombreuses petites fenêtres à claire-voie et de portes suspendues en bois. Selon la direction de la brise du jour, on pouvait créer un flux d’air frais en ouvrant les fenêtres et les portes suspendues de la façade exposée. L’air frais circulait alors à l’intérieur de l’Haveli, à travers les pièces et jusque dans les cours intérieures à ciel ouvert, créant ainsi un courant d’air interne aspiré vers le haut par l’air plus chaud du ciel ouvert.

Enfin, la partie supérieure des murs extérieurs, très douce au toucher, était recouverte de délicieuses fresques. Représentant des scènes soigneusement peintes, qui dépeignaient la vie quotidienne, la mythologie populaire, des récits religieux, et même des événements plus récents (par exemple l’avion de frères Wright, un peloton de soldats britanniques en uniforme, etc.). Nombre de ces fresques sont encore en bon état après 200 à 400 ans. La raison en est que les artisans n’utilisaient que des peintures à base de minéraux et de plantes, qu’ils appliquaient en plusieurs couches, chacune ayant été soigneusement poncée avec la même poudre de coquillages avant d’ajouter la suivante. Un tel travail ne pourrait pas être reproduit aujourd’hui avec des peintures chimiques, simplement parce qu’elles contiennent du plastique. Le plastique finirait par faire des bulles sous la chaleur torride.

Bikaner

En poursuivant vers l’ouest, j’ai visité Bîkaner, qui possède également une splendide forteresse appelée le Fort de Junagarth, construit à la fin du XVIe siècle. Un édifice impressionnant, également perché sur une formation rocheuse, contenant un nombre surprenant de pièces tant publiques que privées, encore dans un état remarquable et témoignant d’une richesse et d’une ingéniosité stupéfiantes. La salle bleue montrée ci-dessous est censée reproduire des nuages orageux, et disposait d’une chute d’eau continue pour rafraîchir la pièce. Vraiment très sophistiqué.

Jaisalmer

Plus à l’ouest se trouve Jaisalmer, non loin de l’actuelle frontière pakistanaise. Là, toute la vieille ville et sa forteresse sont perchées sur un tertre surélevé, donnant à l’ensemble l’allure d’une cité médiévale fortifiée. Tout est construit en grès imbriqué d’une belle couleur beige. Elle possède des remparts massifs, à l’intérieur desquels se trouvent le palais, les Haveli et un remarquable temple jaïn, avec des sculptures sur grès merveilleusement ouvragées. Que ce soit dans la ville haute ou basse, s’étend un réseau de cours et de salles ornées de treillis de pierre, si finement sculptés qu’ils ressemblent souvent plus à un travail sur bois de santal qu’à du grès.

Jodpur

De là, j’ai obliqué vers le sud-est, en direction de la grande ville de Jodhpur (1,2 million d’habitants), surnommée la ville Indigo. Là encore dominée par le puissant Fort Mehrangarh, perché sur un immense monticule rocheux dominant.

Tous ces lieux impressionnants, avec leurs forteresses et leurs Haveli, ont vu leur ancienne prospérité se tarir soudainement, il y a environ 80 ans, en 1947, avec l’indépendance de l’Inde. Et la partition avec le Pakistan, laquelle a simplement coupé les routes commerciales. Les forteresses massives avec leurs magnifiques Haveli furent souvent abandonnées, mises sous clé, leurs propriétaires partant vers les grandes villes pour réinventer leurs commerces. Aujourd’hui, de nombreuses familles Marwari ont transformé leurs entreprises commerciales en complexes industriels. Le tourisme est devenu un moteur économique majeur, avec des hôtels de charme de haut standing qui proposent leurs services, tandis que l’artisanat émerge comme nouvelle marchandise d’échange.

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Beaucoup de ces villes sont aujourd’hui en mode survie, souvent en mauvais état, parfois même d’aspect délabré. Comme c’est le cas pour tant d’endroits en Inde et dans le monde entier, ces édifices témoignent d’une époque fastueuse révolue. Le cœur a cessé de battre pour une raison ou une autre, laissant derrière lui de nombreux édifices impressionnants qui se disloquent peu à peu, à moins qu’une organisation type UNESCO ne reconnaisse leur importance architecturale, religieuse ou culturelle comme héritage pour le bienfait de l’humanité et ne vienne à leur secours. Un rappel constant que toute entreprise humaine, quel que soit son échelle, a toujours un début, un milieu et une fin.

 

Je me demande à quoi ressembleront nos métropoles modernes dans, disons, un siècle ?