Le Sacré et le Contreversial

À 50 kilomètres au sud de Jodhpur, dans un paysage semi-aride, se trouve Rohet Garh, terre de la remarquable communauté Bishnoi. Au cours de ma visite, j’ai découvert une histoire qui illustre parfaitement la confluence entre dévotion religieuse, protection de l’environnement et polémique contemporaine.

Fondée au XVe siècle, suite à une terrible sécheresse, la communauté Bishnoi s’est érigée en gardienne de la nature. Ses membres suivent une stricte discipline végétarienne. Leurs habitations modestes, dépourvues de confort moderne (à l’exception de quelques téléphones portables), témoignent d’un mode de vie traditionnel voué à l’agriculture et à la production laitière. Leur singularité réside dans leur engagement inébranlable envers la protection de toute forme de vie et de leur environnement.

Cet engagement fut dramatiquement démontré en 1730 lorsque 363 Bishnoi sacrifièrent leur vie pour protéger les arbres sacrés Khejri, qu’un propriétaire terrien voulait abattre. Un monument commémore aujourd’hui cet acte extraordinaire de dévotion.

Lors de mon séjour, j’ai participé à un safari en jeep pour observer les élégants antilopes cervicapres (appelé ici Blackbuck) considérés comme sacrés par les Bishnoi. Les mâles, reconnaissables à leur robe sombre et leurs cornes en spirale, vivent séparément des femelles. Ces dernières rappellent les springboks par leur grâce et restent sous la domination du mâle dominant. En l’absence de prédateurs naturels dans la région, on peut observer ces antilopes à seulement 20-30 mètres de distance.

Cette scène paisible contraste vivement avec les événements de 1998. La superstar de Bollywood, Salman Khan, en tournage près de Jodhpur, aurait abattu deux cervicapres lors d’une partie de chasse avec des amis. L’incident a provoqué l’indignation immédiate de la communauté Bishnoi et déclenché une bataille juridique complexe qui perdure.

L’affaire a fait le va-et-vient entre les tribunaux : Khan fut d’abord condamné, puis acquitté par la Haute Cour du Rajasthan en 2016, avant que la Cour Suprême ne rétablisse la condamnation initiale. L’affaire attend maintenant son dénouement final devant la Haute Cour du Rajasthan.

                             Salman Khan est sur la gauche et Laurence Bishnoi à droite 

La controverse a pris un tournant plus sombre lorsque Lawrence Bishnoi, un jeune étudiant en droit issu de la communauté, excédé par la lenteur de la justice, a décidé de prendre les choses en main. Il a publiquement menacé Khan de mort à moins que celui-ci ne présente en personne ses excuses à la communauté Bishnoi. Ces menaces ayant été faites publiquement, ont conduit Laurent Bishnoi en prison. Malgré son incarcération, ses menaces se sont étendues aux proches de Khan, avec des incidents violents récents (meurtre et tentative de meurtre), ce qui a sérieusement exacerbé les tensions.

Khan ne se montre désormais en public qu’entouré de gardes du corps armés.

Ce qui a commencé comme une question environnementale et religieuse s’est métamorphosé en une affaire plus complexe. L’affaire met en lumière non seulement la ferveur religieuse des Bishnoi mais touche également à des dynamiques sociales et politiques plus larges, notamment en raison des identités religieuses des protagonistes (Khan est musulman, tandis que Lawrence Bishnoi est hindou).

L’incident, qui en est à sa 25e année, démontre comment un conflit apparemment simple sur la protection de la faune et la flore, peut évoluer en une controverse aux multiples facettes, mêlant religion, politique et justice. Alors que la situation continue d’évoluer, une résolution pacifique semble de plus en plus difficile à atteindre.