A gauche et au centre, lors de ma visite. A droite, pendant l’été
De près, ce monument hors du commun raconte mille et une histoires. Au cœur de celle-ci se trouve un conte digne des Mille et Une Nuits : l’hommage de Shah Jahan à son épouse bien-aimée, partie trop tôt à 37 ans après lui avoir donné 14 enfants (dont seuls sept ont survécu). La légende veut que sur son lit de mort, elle lui fit promettre deux choses : lui bâtir un somptueux mausolée et ne jamais se remarier.
Le mausolée de marbre blanc se dresse comme un chef-d’œuvre de symétrie – marque de fabrique de l’architecture islamique. Quatre minarets encadrent l’édifice principal, tandis qu’une mosquée et son identique (vide) se font écho de part et d’autre. Cette symétrie parfaite n’était pas qu’une simple recherche esthétique; pour les souverains moghols, elle incarnait la perfection divine et l’ordre cosmique. C’était aussi une démonstration de puissance impériale – seul un pouvoir absolu pouvait orchestrer une telle précision à cette échelle.
Faire le tour du mausolée, c’est découvrir un tour de force époustouflant : chaque façade est le miroir parfait des trois autres. Mais le véritable prodige d’ingénierie se cache sous terre. Les architectes ont dompté ce site capricieux en bord de rivière sablonné, avec une ingéniosité remarquable. Ils ont créé une grille de fondation profonde en utilisant des puits remplis de gravats et de mortier, reliés par des arches entrecroisées (pour répartir la charge).
Des pieux en teck, enfoncés dans le sol riverain, se sont pétrifiés sous l’eau, renforçant davantage la base. Le sol environnant a été compacté à l’aide de pierres lourdes et de techniques spécialisées. Cette prouesse technique explique pourquoi, près de quatre siècles plus tard, l’édifice ne montre aucun signe de faiblesse.
Les détails de construction sont tout aussi impressionnants. Les blocs de marbre ont été assemblés avec un mortier novateur de chaux et de plomb fondu, créant des joints quasi invisibles qui résistent à l’eau comme aux variations thermiques. On dit qu’encore aujourd’hui, impossible de glisser une lame de couteau entre les blocs.
De l’autre côté de la Yamuna se dresse le Fort Rouge, où l’histoire prend un tournant plus sombre. Shah Jahan y passa ses neuf dernières années, prisonnier de son fils Aurangzeb après une lutte de pouvoir. Un balcon de marbre fut construit, permettant à l’empereur vieillissant de contempler son chef-d’œuvre jusqu’à sa mort, avant d’être inhumé aux côtés de son épouse, tous deux tournés sur leur côté, vers La Mecque.
Debout sur ce même balcon aujourd’hui, je ne distinguais même plus le lit de la rivière à travers la brume de pollution, encore moins le Taj – triste témoignage d’un “progrès” qui parfois éclipse nos plus grandes réalisations.
L’empereur contemplant le Taj sous un clair de lune. Et au-dessus, le rideau blanc du smog vu de la dite terrace au loin …