C’est le fruit du hasard qui, en 1838, mena le Capitaine T.S. Burt, ingénieur britannique, à faire une découverte extraordinaire. Sur les conseils d’un de ses porteurs de palanquin, il s’écarta de sa route habituelle pour tomber sur un village isolé où, sous une végétation luxuriante et des années de sédimentation, se cachait un complexe abandonné aux sculptures éblouissantes. Une inscription gravée dans la pierre, datée de 1002, laissait supposer que le site était resté dans l’oubli pendant plus de sept siècles. Burt s’empressa d’en informer le gouverneur régional, le Général Alec Cunningham, qui se passionnait justement pour l’archéologie.
Les fouilles qui s’étalèrent sur 150 ans mirent au jour 22 temples édifiés entre le IXe et le XIIe siècle. À l’origine, ce complexe, qui s’étendait sur 25 kilomètres carrés, aurait abrité plus de 80 temples hindous et jaïns, porteurs d’une vision spirituelle novatrice.
Les temples de Khajuraho (900-1130 de notre ère) se distinguent par leurs sculptures narratives, conçues pour transmettre leur message à une population majoritairement analphabète. Si traditionnellement, l’art des temples puisait dans la philosophie dharmique – un système de pensée millénaire remontant à l’époque védique – ces édifices incarnaient une approche inédite.
Entre le Ve et le IXe siècle, on assista à un glissement progressif des traditions brahmaniques rigides vers la philosophie tantrique. Cette nouvelle voie considérait le monde physique non plus comme un obstacle, mais comme un tremplin vers l’illumination transcendantale. Dans la pensée tantrique, toutes les énergies, y compris sexuelles, peuvent nourrir l’élévation spirituelle. Le quotidien le plus banal recèle en lui-même les germes de la sagesse transcendantale.
Le génie de Khajuraho réside dans sa capacité à marier harmonieusement les philosophies dharmique et tantrique.
Les temples présentent le profane et le sacré comme les étapes d’un même voyage spirituel. Leur architecture forme un manuel tridimensionnel des principes tantriques, suggérant que l’expérience physique, vécue avec conscience, peut mener aux plus hautes réalisations spirituelles.
Les façades des temples racontent cette histoire sur trois niveaux :
- Le soubassement : scènes de la vie quotidienne, marchés, vie familiale et processions royales
- La partie médiane : transition à travers des récits mythologiques et interactions entre humains et divinités
- Le sommet : royaume céleste peuplé de figures divines et de scènes de méditation
En faisant le tour du temple dans le sens des aiguilles d’une montre, on découvre les chapitres successifs de cette narration spirituelle. Les différents niveaux peuvent être “lus” simultanément, créant ainsi un mandala tridimensionnel où le déplacement physique reflète l’ascension spirituelle.
La grâce des poses sculptées célèbre l’union du corps et de l’esprit dans la quête de l’éveil spirituel – une vision qui tranche singulièrement avec le dualisme cartésien qui imprègne la pensée occidentale depuis quatre siècles. Cette approche holistique nous invite à repenser notre rapport au corps et à l’esprit, non plus comme des entités distinctes, mais comme les deux faces d’une même réalité.