Crocovie la médievale

   J’ai visité cette belle ville médiévale au début du mois d’août. Elle n’a jamais été bombardée, malgré les énormes bouleversements qu’elle a connue jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

   La population de Cracovie est aujourd’hui d’un peu moins de 900.000 habitants.

 

   Ma première surprise a été de voir à quel point le centre-ville est bien conservé. Le conseil municipal a clairement l’intention de préserver, autant que faire se peut, son caractère médiéval. Sa main invisible, qui cherche à protéger le passé, m’est apparue de fait très visible. Pas d’affreuses défigurations publicitaires, ni des beaux bâtiments en briques, ni des belle places. Même McDonald’s, oui McDonald’s, a été prié de garder son arche hideuse à l’intérieur de ses murs.

   Il y a une histoire amusante à ce sujet. Les conseillers, m’a-t-on dit, ont finalement accepté les demandes de planification de MacDonald’s, lorsque quelqu’un leur a rappelé que Cracovie avait connu une petite vague d’immigration d’Écossais, durant la dernière partie du XIXe siècle. Alors ils ont donc fini par céder, car après tout MacDonald’s était un nom bien écossais n’est-ce pas ? 

   C’est un bonheur de pouvoir profiter du vieux caractère de cette ville encore si compacte, un vrai et merveilleux plaisir. 

   Cracovie était à l’origine la capitale de la Pologne, jusqu’à la fin du 16ème siècle.

   Mais le pays a toujours été entouré de voisins agressifs. Il a perdu son indépendance à plusieurs reprises. La première fois, à la fin du XVIIIe siècle ; puis il l’a regagné pendant un certain temps, puis l’a perdu à nouveau, cette fois jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne, l’Empire austro-hongrois et la Russie ont tous trois annexé une grande partie du territoire a un moment ou un autre. Au début de la Seconde Guerre mondiale, le Troisième Reich allemand a carrément envahi toute la Pologne et l’a utilisée comme arrière-cour pour construire 5 camps d’extermination et nombre d’autres camps de concentration, pour réaliser leur Solution Finale. Parmi ces camps d’extermination était Auschwitz, l’un des plus grands complexes, à environ 65 km du centre-ville (voir blog suivant).

   La Pologne est un pays profondément catholique, dans lequel, si j’ai bien compris, près de 90 % de la population est croyante, avec apparemment plus de 50 % encore pratiquant. Cracovie elle-même ne compte pas moins de 120 églises. Ou que l’on soit dans la ville, on a du mal à ne pas voir un clocher d’église. On m’a dit qu’il n’y a qu’un seule endroit où ce soit le cas : la rue de l’Université. Quel paradoxe amusant. Cracovie a également été la ville natale du futur pape Jean-Paul II, qui y a passé 40 ans de sa vie.

   La ville possède également une autre caractéristique remarquable : elle ne compte pas moins de 20 universités (l’enseignement universitaire est encore gratuit en Pologne). La plus célèbre étant l’Université Jagellonne, inaugurée en 1364. Copernic y a été étudiant, à la fin de son adolescence (1491 – 1495). Apparemment, et bizarrement, étant donné qu’il n’a pas obtenu de diplôme là, sa statue commémorative, qui avait été initialement inaugurée dans la cour de l’université, a ensuite été déplacée dans un parc voisin, pour être rigoureux. Copernic a ensuite étudié dans le nord de l’Italie (Bologne, Padoue et Ferrare), où il a finalement obtenu un diplôme en droit, en médecine et, bien sûr, en astronomie. Un vrai polymathe.  

   Et dire qu’il a fallu près de trois siècles à l’Église catholique pour accepter sa  thèse du De Revolutionibus, qui établissait de manière irréfutable que c’était le soleil, et non la terre, qui était le centre de notre galaxie. Trois siècles pendant lesquels l’Église a essayé de démentir ses observations et ses déductions révolutionnaires, avec des volumes de fadaises théologiques, ainsi que l’immolation par le bûcher de quelques partisans de l’astronome. Copernic lui-même était cependant plus avisé : il s’est assuré que sa thèse ne serait publiée qu’après sa mort, car il soupçonnait que ce serait probablement trop pour l’Église infaillible d’accepter… sa faillibilité. Clairement une sage décision.

   Parmi d’autres choses notables que j’ai découvertes lors de mon séjour à Cracovie, voici celles que j’ai retenues :

 

  – De nombreux bâtiments médiévaux ont été construits en briques, que les bâtisseurs ont commencé a utiliser au 13ème siècle. C’était un matériau considéré comme merveilleux car il permettait de courber les murs, plafonds et voutes. De nombreuses églises arborent encore fièrement leurs vieilles briques d’origine, malgré que Cracovie soit entourée de carrières de grès.

  – Il y a un musée très intéressant dans la ville, appelé le musée Czartoryski, qui abrite le fameux tableau de Léonard de Vinci, la « Dame à l’hermine ». Il faisait partie de la collection amassée par Isabella Czartoryska Flemming et son mari à la fin du XVIIIe siècle. Isabella était une princesse, écrivain, collectionneuse d’art et figure éminente de l’élite polonaise. On dit qu’elle a rencontré Benjamin Franklin, JJ Rousseau, Voltaire et Frederik II de Prusse. Une personne vraiment remarquable. Et quelqu’un de peu conventionnel aussi, qui mena une vie de promiscuité. Elle eut cinq enfants, chacun apparemment d’un père différent. Sans doute devait-elle éprouver une complicité toute féminine avec Cécile Gallerani, la maîtresse de Marie Sforza, le duc de Milan, laquelle était apparemment enceinte de lui lorsque Leornado peignit son fameux portrait.

Toute cette collection, qu’elle et son mari ont amassée au cours de leur vie conjugale, y compris le célèbre portrait de Léonard de Vinci, a été vendue par l’un de ses descendants au gouvernement polonais, pour la modique somme de 100 millions d’euros, soit l’équivalent de 1 % de la valeur estimée de la collection.

  – L’usine originale de Schindler (célèbre par le film « La liste de Schindler ») était située dans la banlieue de Cracovie et peut être visitée aujourd’hui. Oscar Schindler était un industriel allemand prospère, qui a sauvé plus de 1 300 Juifs des nazis. Clairement d’une étoffe différente de celle des propriétaires d’IG Farben qui ont fait fortune grâce au travail forcé.

  – Le vaccin contre le typhus, une maladie endémique des ghettos et des camps de concentration, a été découvert et mis au point par un scientifique de Cracovie, un certain Rudolph Weigl. Apparemment, il a cultivé et fait pousser les poux derrière ses genoux, car c’est d’eux qu’il extrayait son vaccin. Bien qu’il ne fournissait pas une immunité complète, ce vaccin réduisait considérablement les symptômes. On estime que Weigl a ainsi pu sauver environ 5.000 vies pendant le règne nazi. Encore une entreprise humaine bienveillante qui reste largement méconnue, car le vaccin n’a jamais été commercialisé de son vivant.

   – Dans l’un des parcs publics, il y a une sculpture en bronze grandeur nature qui rend hommage à deux des célèbres mathématiciens de Cracovie. L’histoire raconte qu’en 1916, alors qu’il se promenait dans les jardins, un professeur de mathématiques, renommé à l’époque, nommé Steinhaus, fut surpris d’entendre une conversation faisant référence à un nouveau modèle mathématique encore très peu connu. Très intrigué, il s’approcha pour faire connaissance avec les deux hommes. Et c’est ainsi qu’il rencontra les jeunes Stefan Banach et Otto Nikodym. Le professeur était fasciné par le jeune autodidacte Stefan. Peu de temps après cette rencontre, qui allait aboutir à une amitié de tout une vie, Steinhaus a invité Banach à essayer de résoudre un problème sur lequel il travaillait et n’arrivait pas à résoudre. Banach les résolva en une semaine. Par la suite, les deux hommes publièrent bientôt leur premier ouvrage commun. Avec d’autres mathématiciens de Cracovie, ils fondèrent plus tard la Société mathématique polonaise.  

   – Une autre caractéristique intrigante que j’ai retenue en visitant le château d’origine, qui domine Cracovie, au sommet d’une colline fortifiée bien préservée : les rois de Cracovie étaient à l’origine élus par l’aristocratie, plutôt que d’être des descendants héréditaires d’une vieille lignée. Comme c’est remarquable. Je ne sais pas ce qu’en penseraient nombreux de nos monarques actuels, aussi insignifiants soient-ils devenus.

   – Tout près de la ville, à environ 13 km au sud-est, se trouve la célèbre mine de sel gemme, formée à l’époque néolithique par la remontée d’eau salée. Cette mine a été exploitée depuis le 13ème siècle, plus ou moins continuellement et jusqu’en 1996, date à laquelle il est devenu moins cher d’importer la matière plutôt que de continuer à l’extraire. Un endroit assez fascinant, qui va jusqu’à 350 mètres de profondeur. Tout ce que vous voyez dans cette mine est fait de sel gemme : les murs, les escaliers, les plafonds, les sculptures, tout. On y trouve un lac souterrain, quatre chapelles, de nombreuses sculptures réalisées par de nombreux mineurs et, plus récemment, des sculptures. Même les lustres sont fabriqués à partir de cette pierre. Un spectacle extraordinaire. 

   Autrefois, pour creuser la roche, on a éventuellement eu recourt au cheval et à l’âne et tout un système de poulies et de cordages. Mais il y avait un problème : une fois l’animal transporté sous terre, il était impossible de le remonter à la surface, car la bête était terrorisé par les escaliers et ascenseurs. Dès lors, une fois descendu, l’animal devait passer le reste de sa vie sous terre, car il ne pouvait être remonter que comme carcasse. On peut encore voir leurs anciennes écuries sculptées.

   Je recommande vivement Cracovie. C’est une ville pleine d’humanité, avec des histoires incroyables. Très jolie, pleine de caractère, et bien conservée.