Le temple des rats

Voici une autre de ces fabuleuses légendes du Rajasthan, comme on en entend partout en Inde.

C’est l’histoire du mahaprayan (dernier voyage) de Karni Mata.

Karni Mata était une mystique du 14ème siècle, considérée comme une incarnation de la déesse Durga. La légende raconte qu’au lieu de connaître une mort ordinaire, elle s’est tout simplement volatilisée dans un temple à Deshnoke (au sud de Bikaner) en 1538.

On raconte qu’elle avait prévenu ses fidèles qu’elle disparaîtrait par la porte du temple (en argent massif), et qu’ils ne devaient pas chercher sa dépouille. Le jour venu, elle est entrée dans le temple et aurait fusionné avec le divin, ne laissant aucune trace physique. Cette disparition miraculeuse est ce qu’on appelle son mahaprayan.

Depuis, une petite ville s’est développée autour du temple, devenu célèbre non seulement pour cette légende mais aussi pour ses quelque 25 000 rats qui y ont élu domicile. Ces rats seraient les enfants de Kani Durga (je vous épargne le reste de cette histoire qui défie l’entendement). À ce titre, ils sont considérés comme des réincarnations d’êtres sacrés. On croit que lors de leur prochaine vie, ils deviendront des humains aux dons exceptionnels. En attendant, ils trottinent dans le temple, attirés par les offrandes de noix de coco, de céréales et de lait apportées par les pèlerins.

La visite du temple n’est pas pour les âmes sensibles, car il faut y marcher pieds nus. Les rats vous courent inévitablement entre les jambes, parfois même sur les pieds. Je n’ai pu m’empêcher de sourire en pensant que certains d’entre eux pourraient se réincarner en banquiers d’affaires ou en politiciens – les mêmes qui, de nos jours, vous ignorent royalement. Mais gare à vous : si par malheur quelqu’un écrase un rat, il doit le remplacer par un rat en or massif !

Tous les prédateurs potentiels sont tenus à distance. Rapaces, serpents, ou même le chat du coin (d’ailleurs, on ne voit pas beaucoup de chats en Inde) : aucun prédateur n’entre. Gardiens et pèlerins font le guet pour signaler le moindre danger. La surveillance des rats malades ou morts est effectuée régulièrement.

Malgré l’absence de prédateurs, la population de rats est restée stable au fil des siècles. Elle semble s’autoréguler en fonction de la taille du temple. Ou peut-être de la quantité de nourriture disponible.

Ce temple est visité par de nombreux pèlerins, venant de tout l’État et au-delà. Telle est la vénération pour ces animaux que certains fidèles, persuadés que leur salive a des vertus curatives, vont jusqu’à partager leur nourriture et leur lait avec eux…

On raconte même que des pèlerins amènent leurs voitures neuves pour les faire bénir par les rats, en guise de porte-bonheur.

Bien que le temple soit nettoyé régulièrement, les déjections sont partout sous les pieds et l’odeur, sous la chaleur, est plutôt musquée.