Les Chettiards

En Inde, il exista une caste de renom du nom des Chettiards. Aujourd’hui c’est plus une diaspora éparpillée à travers le monde qu’une caste à proprement parler, après le revers de fortune qu’ils connurent au milieu du 20ᵉ siècle. Ils vivaient au sud du Tamil Nadu, dans une region connue sous le nom de Chettinad. Leur histoire est intéressante.

Les Chettiards avaient été de tout temps connus pour être de riche marchands et des financiers, personnes très entreprenantes, toujours prêt à prendre des risques calculés, et dont la présence et l’influence était ressentie partout à travers l’Asie orientale. Leur fortune connut un essor fabuleux après l’arrivée des Britanniques en Inde, entre la deuxième moitié du 19ᵉ et la première moitié du 20ᵉ siècle. Beaucoup de Chettiards émigrèrent vers Ceylan, la Birmanie et la Malaisie, au fur et à mesure de l’expansion britannique dans cette partie du monde.

Ils étaient connus pour être des gens fiables et de parole. Toujours prêts à envisager de nouvelles actions, en Inde ou ailleurs, ils excellaient aux affaires. Au bout de quelques années, ils établirent de nouveaux comptoirs partout autour de la baie du Bengal. Ensuite, ils devinrent également banquiers privés, ce qui ne fit que d’accroitre leur fortune plus encore, car les Chettiards savaient compter.

Leurs fortunes, déjà très confortables, atteindront de nouveaux sommets sous le règne du Raj Britannique. Ils procuraient aux colonisateurs les moyens de transport 

maritime entre l’Inde et tous les grands centres commerciaux de la région (Calcutta, Ceylan, Singapour, HK et plus loin encore). Et pas seulement aux Anglais, mais également aux coloniaux Francais, Portugais, Danois, etc.

Ils devinrent fabuleusement riches !

L’origine des Chettiards est peu documentée. Ils se disent originaires de l’ancien royaume des Chola, qui exista entre les 10 et 12ᵉ siècles. Leur terre ancestrale était le port de Poompuhar, sur la baie du Bengale, au sud de Pondicherry. Mais, au 13ᵉ siècle, un terrible tsunami frappa la côte et causa une catastrophe. Ils perdirent pratiquement tout et beaucoup périrent. Les survivants décidèrent de se retirer de la côte et se réinstallèrent en bordure d’une grande rivière, bien en retrait. Comble de malheur, quelque temps plus tard la rivière inonda la plaine, submergea leur nouvelle colonie, causant à nouveau pertes de vie et de biens.

Alors, pour le coup, ils se mirent à rechercher un endroit aussi loin que possible de la mer, ou d’une grande rivière. Un endroit désolé et sec. Et, c’est comme cela qu’ils découvrirent une terre semi-aride à l’est de Madurai qui devint Chettinad. Aussi sec et infertile qu’il était possible d’imaginer. Au cours des années et des siècles qui suivirent, Chettinad devint une constellation d’environ 95 villages, groupés autour de 9 temples, sur un territoire d’environ 1,500 Km2.

Les Chettiards ont toujours eu un sens poussé de leur histoire ancestrale, ainsi que de leurs propres traditions. Lorsqu’ils devinrent très riches sous l’empire du Raj Britannique, ils développèrent également un profond désir de faire étalage de leur richesse. Alors, ils se mirent à transformer leurs demeures en palais somptueux, en ajoutant des pavillons, salles de reception et cour intérieure. Tant pour la conduite de leurs affaires que pour organiser des réceptions et des marriages grandioses. Ils le firent en construisant des bâtiments extravagants et ostentatoires, souvent en contraste complet avec les villages avoisinants vivant sur ces terres semi-arides. Mais, casse la tienne, ils construisirent néanmoins, au fur et à mesure de leur succès devenu exponentiel.

Aucune dépense n’était de trop pour se procurer ce qu’il y avait de plus beau et de plus cher. Du bois de tek de Birmanie, des bois satinés de Ceylan, du marbre d’Italie, du granit poli d’Inde centrale, de la fonte, de l’acier et des plaques de métal forgées pour les plafonds, tous provenant de Grande-Bretagne, des carreaux en céramique d’Allemagne, de France et d’Angleterre, ou encore des chandeliers en crystal de Belgique. Comme ils voulaient ce qu’il y avait de mieux, ils firent venir les meilleurs artisans et ouvriers des différentes régions d’Inde, tel que sculpteurs de bois et de pierre granitique, peintre pour fresques et pour le plâtrage aux œufs des murs, etc. Comme parfois ces palais pouvaient compter jusqu’à 100 chambres, avaient d’énormes salles à manger, cours intérieures, cuisines fonctionnants 24 h sur 24… on parle ici de palais substantiels. Chaque famille essayant de supplanter le voisin. Avec des dizaines de garages, remplis de voitures importées d’Europe, Rolls-Royce en particulier.

Ils recevaient constamment, célébraient et entretenaient leurs invités. On n’avait jamais vu pareille faste, complètement incongru dans un telle région. Et, on ne parle pas de quelques palais ici et là, puisqu’on estime aujourd’hui qu’il en existe plus de 10,000 !

Ces palais, tous plus ou moins construit sur le meme plan, ont de hauts murs d’enceinte pour protéger leur isolation. Des familles entières habitaient les lieux : les parents, les frères et sœurs et leurs familles respectives, et les grands-parents. Les maris étaient fréquemment à l’étranger, au travail, pendant que les femmes géraient la vie domestique en leur absence. Il était commun de voir une cinquantaine de personnes habiter les lieux, sans compter les domestiques. Et, de temps à autre, lorsque tout le monde était réuni, ils lançaient de fabuleuses receptions avec de nombreux invités, célébraient les festivals du Tamil Nadu, ou encore organisaient des marriages inter caste pour leurs filles.

Puis nouveau désastre : l’Inde accéda à l’indépendance en 1947 et les Britanniques rentrèrent chez eux en 1948. La fortune des Chettiards plongea aussitôt. Rapidement, ils perdirent aussi les (souvent) gros investissements qu’ils avaient faits dans les pays avoisinants, au fur et à mesure que le vent de l’indépendance souffla sur ces pays durant les années 50.

La grande majorité abandonnèrent leurs palais, mirent les scellés et partirent. Soit vers les grandes cités comme Madras, Delhi ou Mumbai. Ou alors à l’étranger (Asie du Sud-Est, Amérique, l’Angleterre, Canada, Dubai, etc.) Les quelques-uns qui restèrent étaient des banquiers privés ou des prêteurs sur gages – jusqu’au jour où Indira Gandhi nationalisa les banques en 1970, et eux aussi décampèrent.

Aujourd’hui toutes ces résidences substantielles abandonnées depuis plus de 75 ans sont toujours sous clefs et souvent dans un état bien délabré, car non entretenus.

Les successeurs ne sont pas intéressés à les vendre non plus. Certains reviennent de temps à autre, soit pour célébrer une fête locale et revoir le pays et la maison ancestrale.

Soit aussi pour célébrer un marriage entre membres de la meme caste. Auquel cas le palais est rouvert, voir meme repeint pour l’occasion. Après coup, on ferme et l’on rentre chez soi à Delhi, Bombay, NY, Londres, Dubai …

La diaspora Chettiards organise de temps à autre des visites organisées pour leurs enfants, dans l’espoir de raviver l’orgueil de la caste et son sens des traditions. Mais, en vain, semble-t-il. Les enfants ne montrent pas un grand enthousiasme pour toutes ces vieilleries et ont de cesse de vouloir regagner les comforts de la métropole ou il y fait bon vivre.

Aujourd’hui quelques palais sont ouverts aux visiteurs. Quelques-uns ont été retapés et convertis en hotel de luxe. Certains ont été cannibalisés par des antiquaires peu scrupuleux qui achètent bon marché pour revendre cher des biens de grande valeur. J’ai meme entendu parler d’un antiquaire français qui aurait épousé une Indienne du cru pour ensuite acheter un palais en son nom à elle. Ensuite, il dévalisa le bâtiment de ses trésors les plus précieux et vendit la carcasse pour le prix du terrain. En Amérique, cela s’appelle “asset striping”. Il semble que cela se pratique aussi dans le monde des antiquaires.

Ainsi tourne la roue de la fortune.

(Veuillez cliquer sur une photo pour aggrandire)

Voila quelques examples sur les plus de 10,000 !