Rome, cité eternelle

En mai dernier j’ai eu l’occasion de visiter Rome. Enfin pouvoir découvrir cette ville hors du commun à vitesse pédestre. J’étais déjà venu à Rome pour affaires, mais toujours en coup de vent. Maintenant, je pouvais prendre mon temps pendant les 4 semaines que je me proposais d’y rester.

Visiter Rome, ce n’est pas comme de simplement visiter une autre capitale. Rome c’est autre chose. C’est la capitale qui fut tour à tour appelée la « Ville Éternelle », et même le « Caput Mundi » – la capitale du monde – non moins!

Depuis sa fondation, il y a maintenant 28 siècles, Rome a été tour à tour la capitale d’origine du Royaume romain, puis de la République, puis celle de l’Empire Romain. Par la suite elle est devenu le siège de la papauté romaine, avant de finalement devenir, au XIXe siècle, la capitale du Royaume d’Italie. Pour beaucoup d’entre nous occidentaux, Rome demeure le berceau de notre civilisation et de notre culture chrétienne. Étant donné son âge et le fait qu’elle fut habitée sans interruption depuis sa fondation, c’est aussi la capitale la plus ancienne d’Europe.

Clairement, il y a beaucoup à apprendre d’une telle ville.

    L’antiquité et ses ruines

Lorsqu’on arrive de l’aéroport, la première chose que l’on remarque, bien sûr, ce sont ses ruines, dans leur cadre verdoyant. Fini ces représentations picturales de la Renaissance, qui les montraient jonchées partout, enfouies sous une végétation envahissante, souvent à moitié enterrées et dans un état de délabrement avancé. Aujourd’hui ces ruines ont été relevées, restaurées, nettoyées. Maintenant elles sont debout silencieuses, tristes témoins d’un long passé.

Je me demande ce qui nous avait poussé à vouloir soudainement déterrer toutes ces ruines au début du 19ième siècle ? En fait ce fut un concours de facteurs et de circonstances.

– L’émergence d’une nouvelle discipline, appelée l’archéologie

– Un certain nombre d’hommes, instruits et riches, avec beaucoup de temps libre sur les bras, devenus tout à coup des adeptes de cette nouvelle discipline, et avec une passion renouvelée pour le passé. Des gens qui avaient les moyens de financer des fouilles, à travers tout le bassin méditerranéen, avec la volonté de découvrir, de restaurer et mieux comprendre tout ce que ces ruines pouvaient signifier de notre passé.

– Un désir d’en savoir plus sur l’âge de l’humanité, de comprendre comment vivaient et fonctionnaient cette ancienne civilisation dont nous sommes issus. Peut-être aussi un moyen de combiner la nouvelle théorie de la sélection naturelle de Darwin et Wallace avec l’antiquité elle-même.

– C’était aussi, je suppose, une façon de contrer les effets déshumanisants de la révolution industrielle, voire d’approfondir notre foi dans l’évolution de notre civilisation.

Rome, l’endroit idéal pour déterrer tout ce passé.

La ville offre aujourd’hui un paysage urbain très inhabituel. Toutes ces ruines, entourées de tant de basiliques et d’églises, de bâtiments de la Renaissance, d’édifices plus modernes, de parcs vallonnés avec des pins parasols, de rues parfois bordées d’orangers, ou de grands palmiers majestueux qu’on voit de loin. Tout cela au milieu d’une agitation urbaine moderne, constante, avec parfois un réseau de rues serrées, pavées, sinueuses et pas du tout conçues pour la circulation d’aujourd’hui. Avec, ici et là, de majestueux escaliers extérieurs tout en courbe, des places ornées de statues d’un autre age, des marchés et que sais-je encore. ça a un cachet fou, incomparable. Avec des collines partout qui surplombent.

En errant parmi ces ruines, mes anciennes leçons d’histoire me reviennent en mémoire. Castor et Pollux, Néron, Caligula, Cicéron, Crassus et Pompée, Jules César, le Rubicon (pas au pied de la ville, comme je l’imaginais, mais à plus de 300 km de distance), Auguste, Constantin, le Capitole et ses oies, le Colisée, le Panthéon etc. Cela a quelque chose de réconfortant de pouvoir enfin déambuler et associer toutes ces histoires passées avec un emplacement. Ce qui, bien sûr, est tout l’intérêt de préserver ces ruines en premier lieu. En observant tout cela, je me rends compte à quel point je demeure toujours aussi attaché à ce passé romain, à quel point il continue de nous informer sur nos racines, notre culture et, bien sures, nos traditions politiques. Finalement on a pas vraiment inventé grand chose depuis …

     La Chretienté et le Vatican

Rome, pendant les 600 premiers siècles de son existence, était un païen, qui au court des siècles devint un empire.C’était un monde d’abord barbare, toujours  brutal, violent, débauché, licencieux. Au fur et à mesure de son évolution, une réaction commença à se faire jour, comme souvent dans l’histoire de l’humanité. Lorsqu’une force excessive est perçue comme trop excessive, inévitablement cela finit par provoquer une réaction contraire. Lorsque le pouvoir dominant commence a éventuellement s’affaiblir, comme ce fut le cas vers la fin de l’empire, au début des 3 et  4eme siècle de notre ère, de ses cendres a très graduellement émergé le Christianisme. L’empereur Constantin, alors qu’il était sur le point de mourir, décréta soudainement et opportunément pour lui, que le Christianisme serait dorénavant la religion officielle de l’empire. Et dès lors, au lieu que de païens et de Juifs chassant et tuant les nouveaux Chrétiens, le courant s’inversa. Maintenant c’était au tour des Chrétiens de pourchasser les païens et les Juifs, de façon tout aussi impitoyable. Tous ceux qui ne se convertissaient pas, sur le champs, à la nouvelle foi, était tout simplement mis à mort. Et c’est ainsi que le Christianisme est né. Et deviendra la plus grande foi religieuse de l’humanité, avec quelque 2,4 milliards d’adeptes aujourd’hui, soit 30% de la population mondiale. Tout cela à partir du décret d’un empereur mourant, à la tete d’un empire qui avait fait son temps !

On m’a dit que Rome comptait aujourd’hui, 16 siècles plus tard, plus de 900 églises à l’intérieur de ses murs (apparemment, plus près de 1 600, si vous comptez les chapelles privées). Partout où je me tourne, je vois une église ou son clocher.

En réaction à une histoire sanglante et brutale, il était naturel que Rome, après avoir était le siège du plus grand empire de l’histoire d’alors, soit également devenue le siège d’un nouvel empire, religieux celui là, celui que l’on appellera éventuellement la Cité du Vatican.

Bien qu’on l’appelle une ville, le Vatican est en fait un pays indépendant, situé à l’intérieur des limites d’une ville. Le seul exemple au monde, que je sache, d’un tel phénomène. Le Vatican n’est pas seulement un « pays » dans une ville, c’est aussi le siège de la plus grande religion de l’histoire de l’humanité. Et qui survit à ce jour, après 17 siècles d’existence.

Tout a commencé sur la rive ouest du Tibre, à l’origine une zone marécageuse que les Romains considéraient comme lugubre et menaçante. Une zone continuellement inondée par le fleuve, mais qui n’empêcha  pas les Chrétiens d’y situer leur première basilique constantinienne, en 326 AD.

J’ai visité le Vatican par deux fois durant mon séjour. Quelle que soit votre appartenance religieuse (Catholique, non pratiquant pour ma part), cette micro-nation fortifiée fait forte impression. Croyez moi, vous le ressentiriez pareillement si vous visitez pour la première fois.

L’impression est avant tout celle d’une puissance écrasante. La taille même de la Basilique St Pierre, avec tous ses ornements, d’un luxe inimaginable, est sidérante, voir extrême, à la limite de l’oppressant.

Mais c’est exactement la raison pour laquelle Jules II avait fait reconstruire la Basilique en 1506.  Il était connu comme le « pape guerrier », qui entreprit des campagnes agressives pour assurer le contrôle politique de l’Église Catholique sur les différentes terres de la péninsule italienne, et bien au-delà. Cette Basilique a été conçue pour être un puissant symbole de pouvoir. Et c’est indéniablement l’effet qu’elle continue de produire à ce jour. 

La Chapelle Sistine

Il en va de même pour la chapelle Sixtine, à l’intérieur du Vatican. Tous ces murs et son plafond sont recouverts de fresques merveilleusement conservées. L’équivalent de ce qu’aujourd’hui on appellerait une propagande éhontée, version Renaissance. Laquelle impressionnerait même les dirigeants chinois pour son effet coup de poing. Pas un bout de mur n’a été épargné. Le plafond, qui fait 40 mètres de long et 20 mètres de haut, a été peint par Michel-Ange. Le résultat est à couper le souffle. Ce plafond est si haut, que j’ai vite regretté de ne pas avoir apporter mes jumelles, pour vraiment apprécier l’extraordinaire beauté de l’ouvrage.

Il s’avère qu’à l’origine, Michel-Ange avait rejeté la commande du pape Jules II, lorsqu’elle lui fut offerte à l’origine. On dit, et c’est vraisemblable, que c’était parce que Michel-Ange se considérait alors plus comme un sculpteur, qui préférait traiter les matériaux, que comme un peintre. Et il ne connaissait pas l’art de la fresque. Mais Jules II était un homme autoritaire et d’une autorité pratiquement absolue. Alors il insista, ne laissant à Michel-Ange d’autre choix que de finalement accepter.

Alors le sculpteur s’initia à la peinture à fresque, en suivant un cours intensif à Florence. Lorsqu’ensuite il se mit à l’immense tache  (je rappelle : 40 mètres de long) il décida que finalement lui seul accomplirait l’ouvrage. Il avait alors à peine la trentaine. Il lui a fallu, de façon intermittente, environ 4 ans pour mener à bien cette œuvre monumentale. Je ne vois pas comment un artiste contemporain envisagerait d’entreprendre aujourd’hui une tâche aussi gigantesque. Impensable. J’ai appris qu’il a peint de plafond en se tenant debout, sur de gigantesque échafaudage, plutôt que couché. Je me demande toujours quel effet cela a dû avoir sur sa santé physique.

Le résultat, avec plus de 300 personnes représentées, va juste au-delà des mots. Tant pour son originalité que pour l’audace et la monumentalité de l’ouvrage. Sans parler même pas des interprétations liturgiques radicales que Michel-Ange a du faire en peignant ces fresques, pour les faire mieux cadrer avec les croyances évoluées de la Renaissance. Ce qu’il fit, parait-il, plus ou moins de son propre chef, sans en référer à quiconque. C’est à vous couper le souffle – même sans jumelles.

Comme si cela ne pouvait suffire, un pape successeur demanda à Michel-Ange, quelque vingt-cinq ans plus tard, et alors qu’il avait plus de soixante ans, d’entreprendre la peinture du Jugement Dernier, sur l’immense mur derrière l’autel. Autre tâche, tout aussi monumentale, car il s’agissait de peindre une fresque de 14 mètres de haut et 12 mètres de large. Même si je ne souscris pas à l’histoire racontée sur cette fresque, j’ai été envoûté par son incroyable originalité. Je ne trouve pas les mots pour la décrire, sauf pour dire que j’ai été sidéré la aussi par sa monumentalité et son effronterie.

Comme pour le plafond, il lui fallut plus de 4 ans pour le mener à bien. Sont représentés également plus de 300 personnes différentes, dont beaucoup sont des hommes, exhibant une nudité musclée. Le résultat s’avéra très controversé à l’époque. Ce à quoi, je suppose, Michel-Ange s’attendait très probablement. Ce qui ne l’empêchât pas de la peindre cette fresque à sa façon. Tel un maitre qui n’avait rien à craindre.  

Il y a deux histoires intéressantes à noter à propos de cette dernière fresque.

L’une concernait le maître de cérémonie du Pape, un certain Biaggio da Cesena, lequel aurait déclaré : « C’était très honteux que, dans un lieu aussi sacré, on ait représenté toutes ces figures nues, s’exposant si honteusement, et que ce n’était pas un travail pour une chapelle papale, mais (plutôt) pour des bains publics et des tavernes ». Michel-Ange se mit immédiatement à reproduire le visage dudit Cesena, de mémoire. Il l’incorpora dans la fresque, sous les traits de Minos, le juge des enfers, avec des oreilles d’âne (montrant la bêtise), tout en couvrant ses parties intimes par un serpent les lui mordant. Lorsque Cesena alla se plaindre au pape, le pontife prit le ton de la plaisanterie, en prétendant que sa juridiction s’étendait au Ciel, mais non à l’Enfer, et que donc le portrait devrait rester.

Une autre histoire intéressante est qu’après la mort de Michel-Ange, le Concile de Trente condamna formellement la représentation de la nudité dans l’art religieux. Un élève du peintre défunt fut donc réquisitionné, pour couvrir les parties offensantes avec des draperies et des culottes. Ce qui rapidement lui valut le surnom de « Il Braghettone » (le fabricant de culottes). L’humour italien.

J’ai également visité les musées du Vatican, qui abritent des centaines de milliers de trésors d’une valeur incalculable: sculptures, tableaux, objets de toutes sortes, amassés des quatre coins du monde.

De tout cela, un seul artéfact m’a vraiment frappé l’esprit. C’est la baignoire de Néron ! En porphyre rouge foncé, mesurant 13 mètres de circonférence. Le porphyre rouge impérial est l’une des pierres de marbre les plus dures et dense de tous les temps. Et le plus recherché. Il provenait de la carrière de Mont Porphyrite (Égypte), la seule source de porphyre rouge dans le monde à l’époque. L’énorme pierre excavée a dûe être transportée par charrue à bœufs, le long de ce qui était connu alors sous le nom de ‘la route de porphyre’, jusqu’au Nil. De là, elle fut expédiée à Rome en un seul morceau. Soit une distance totale d’environ 1 000 km. Le(s) sculpteur(s) avait besoin d’une grande habileté mais aussi et surtout d’outils très résistants pour la tâche. Nous ne savons toujours pas, à ce jour, comment les Romains ont réussi à fabriquer de tels outils au 1er siècle AD, car nous ne sommes arrivés à réinventer un tel outil, en acier trempé, qu’au 19eme siècle ! C’est un exploit stupéfiant d’ingénierie et d’ingéniosité humaine. Et tout cela pour une baignoire. Mais c’était bien plus qu’une simple baignoire. Cet objet monumental montrait au reste du monde que seul l’Empire romain avait sous son commandement les ressources nécessaires pour accomplir un exploit aussi extraordinaire. Cette baignoire projetait une puissance et un prestige que personne d’autre possédait. Un résultat qui demeure toujours aussi stupéfiant au 21e siècle!

En continuant de marcher à travers les interminables galeries qui se succèdent, on commence vite à se sentir oppressé par tant d’opulence et d’étalage.

Lorsque j’ai finalement réussi à trouver la porte de sortie, quel plaisir de revoir le monde familier et quotidien. Ce n’était pas seulement le luxe qui m’oppressait. C’était aussi la représentation de tant de sang, de comportement bestial, de tortue, parfois mêlée à des expressions extatiques. Un rappel de l’origine de la Chrétienne, une religion marquée dès son origine par la violence, et qui resta intrinsèquement violente. Elle est née dans la violence et s’est défendue avec violence. Tout au long de son histoire : au Moyen Age (les croisades), à la Renaissance, (l’Inquisition avec ses écartèlements et ses buchers), la Contre Réforme, puis les colonisations dans les Amériques nord et sud, et l’Asie, l’ordre Jésuite etc. Le mélange d’une religion monolithique issue du Moyen-Orient, avec un tempérament Latin naturellement passionné, donna naissance à une culture naturellement violente par nature.

    Les Romains

Alors que c’était la première fois que j’avais l’occasion de flâner dans Rome, même pour quelques semaines seulement, je me suis demandé comment les Romains avaient réussi à s’adapter avec tant de succès à une histoire aussi dramatique et traumatisante, durant tant de siècles? Bien sûr, les Romains n’étaient pas seulement les victimes de cette histoire, mais également les auteurs de celle-ci. J’ai été très intrigué d’apprendre, au passage, que Rome a été saccagée par 6 fois dans son histoire, un record (la dernière fois en 1527 sous Charles Quint). Je pense que ce n’est pas sans rapport avec le pillage sauvage, systématique et notoire auquel Rome s’était livré pendant toutes ses conquêtes, tout au cours de son histoire. Son âpreté aux gains et à l’acquisition de butins de guerres sont restées gravé dans les mémoires des conquis, au moins jusqu’à la Renaissance. On ne peut s’étonner, dans ce cas, que cela soit resté gravé dans les esprits de peuples anciennement conquis, lequels voulaient prendre une revanche, et volé en retour tout ce qui leur avait été pris pour butin.

Rome n’est pas la seule ville à avoir connu un passé aussi traumatisant. Je pense à Shanghai, Berlin, Bagdad, Moscou, Beyrouth, Hiroshima, Mexico etc etc. Cependant, je doute qu’il y ait une autre capitale, encore existante après 23 siècles, qui ait connue, plus ou moins sans interruption, des bouleversements aussi dramatiques et violents que Rome.  Et ce juste qu’au milieu du XXème siècle (avec l’épisode fasciste et la WW II). Et toujours aussi fière sur ses deux jambes.

 

Tout au long de mon séjour, je me suis demandé ce qui avait pu rendre les habitants de Rome aussi résilients. 

Les Romains sont certainement des gens profondément émotif, contrairement à nous, les Européens du Nord, qui avons tendance a être plus cérébraux. Leur mode d’expression naturel, qu’il soit verbal (accentué avec moulte geste) ou visuel, est enclin à l’emphase, à l’exagération. Simplement décrire quelque chose de façon factuelle n’a aucun intérêt ici, à moins que la description soit rehaussée de couleurs et de superlatifs. Les Romains ne s’expriment pas en nuance de gris, mais plutôt en noir et blanc. En temps de paix, cela se traduit par la ruse, l’expression dramatique et le franc-parler. Durant les périodes plus tendues, je suppose que l’agressivité et la violence ne sont jamais loin de la surface. On adore le tragi-comique par ici, c’est le sel de la vie.

J’aime beaucoup les graffitis et autres peintures de rues, que l’on voit un peu partout. Parfois très créatifs.

J’aime aussi  la recherche des contrastes, que l’on trouve parfois dans les musés, entre l’ancien et le moderne.

Rome, est aussi le siège de l’élégance (n’en déplaise aux Français).       

Une illustration particulière de cette tendance visuelle est bien sûr lorsqu’on pense aux femmes romaines. Celles-ci ont toujours joué un rôle important dans l’histoire de la ville. Pendant très longtemps, un rôle subordonné certes. Cela n’est heureusement plus le cas aujourd’hui, car je remarque que les femmes occupent enfin un rôle à part entière dans la société romaine. Mais, pour en revenir aux tendances visuelles, deux choses m’ont marquées.

La première, c’est que lorsque je me promène dans les rues élégantes du centre-ville, je ne peux m’empêcher de remarquer que 4 sur 5 des boutiques sont dédiées aux femmes – robes, chaussures, sacs à main, bijoux, sous-vêtements etc., toutes rivalisant pour le commerce de la gente féminine. Et tout cela de façon très visuelle. Et l’élégance même.

L’autre chose qui m’a toujours frappé, ce sont les manifestations de l’anima chez l’homme romain. L’anima, selon Jung, représente la partie féminine de la psyché masculine. Cette représentation psychologique que l’homme se fait, de l’image type de la Femme, a joué, et continue de jouer, un rôle important dans le paysage culturel de cette ville. La mythologie romaine a toujours dépeint les femmes d’une manière complexe, souvent même contradictoire. Cela va de l’image fortement misogyne de l’église Catholique, (où une femme est soit une madone ou une tentatrice, et pas grand-chose entre les deux), aux nombreux autres archétypes féminins – le symbole de Vénus, de la grand-mère araignée, du chat, de la rose, de la lune, etc. Sans parler de l’anima telle qu’il a été dépeint par les réalisateurs cinématographique italiens (Fellini, Antonioni, Sergio Leone, Pasolini, etc.). Je ne connais aucune autre ville qui projette son anima féminin de manière aussi forte, complexe, mais aussi de façon aussi distinctive que Rome. Je fais référence ici à quelque chose d’intangible, mais dont la manifestation à Rome est tout à fait tangible. Cette anima Romaine est différente des autres pays Latins, comme la France ou l’Espagne.

Mais revenons aux Romains. Qu’en est-il de leur politique? Je ne peux m’empêcher de remarquer que les Romains, tout au long de leur histoire mouvementée,  semblent avoir été constamment obsédés par la définition du pouvoir et comment se l’accaparer. Du moins, ses dirigeants. Je me demande si au fond, ce n’est pas parce que les Romains n’aiment pas s’incliner devant le pouvoir, qu’ils semblent plus naturellement enclins à le défier qu’à l’accepter de bon gré. Tout au long de leur histoire, les dirigeants se sont toujours préoccupés non seulement de la manière de s’assurer le pouvoir, mais aussi comment le préserver et le rendre inattaquable par d’autres. La croyance semble être la suivante : si vous avez le pouvoir, appliquez-le impitoyablement, sinon quelqu’un vous défiera très rapidement. À mon avis, c’est comme si leur conviction était que le pouvoir ne peut pas être partagé, par définition. Qu’il doit être possédé, intégralement. Et que si, en dernier recours, vous avez vraiment besoin de partager ce pouvoir avec un ou deux autre au départ, pour mieux le posséder, par exemple en formant un triumvirat, pour l’arracher à un Sénat ultra-conservateur, alors il faut à tout prix, et à la première occasion, le réduire à sa seule et plus simple expression: un seul ! Et attention aux couteaux.

Dans le même ordre d’idées, je remarque aussi l’obsession des Romains pour les limites. Pendant que j’étais guidé à travers la ville, je me suis rendu compte que les Romains semblaient avoir toujours été obsédés par l’idée de frontière. Qu’il s’agisse des limites de la ville, de celle de l’autorité, du Rubicon, des limites de l’intra et de l’extra muros, etc. Pourquoi cette obsession, je me demande ? Peut-être que la raison en est que les Romains sont plus naturellement enclins à constamment mettre ces limites à l’épreuve plutôt que de les accepter telle quel. D’où leur propension à  exagérer l’importance des limites en les peignant rouge vif (parlant au figuré). Au cas ou quelqu’un tomberait dans le panneau ….

     Et au final ?

Pour moi, aucun doute : Rome, contrairement à beaucoup d’autres grandes capitales, est une ville qui  remue et émeut. Elle est unique dans sa façon de nous attirer des quatre coins du monde.

 J’en suis reparti, cependant, avec des sentiments mitigés.

D’une part, j’ai ressenti assez fortement le sentiment sous-jacent de violence cachée. Si visible, cependant, que ce soit dans son architecture chaotique, son tissu urbain serré, son art, et son histoire. D’une certaine façon, cela m’a dérangé. Je ne l’ai pas ressenti dans l’attitude ou le comportement des gens à mon égard – la plupart n’aurait pas pu être plus ouvert, et accueillant. Mais c’est un charme réservé, détaché, un peu théâtral, souvent mis en scène pour les étrangers (remarquez, nous sommes si nombreux, je peux difficilement leur en vouloir). Mais tout de même.

D’un autre côté, j’ai tout de suite craqué pour cette vieille connivence Latine, les collines verdoyantes, l’hédonisme et l’apparente désinvolture des Romains. Et cette délicieuse cuisine méditerranéenne, sans pareille. En tant que Latin, il n’est pas possible de ne pas ressentir ce vieux charme.

Est-ce que je vivrais à Rome ? Je ne pense pas, malgré la beauté et l’attrait du cadre. Je pense que les Romains me rendraient fou avec leur emphase théâtrale. On peut surement très bien vivre là, se fondre dans un groupe cosmopolite, en ne cueillant que les fruits mûrs, sans trop se soucier du reste. Mais pour combien de temps?