Un sage vénéré

En Inde, on trouve des villes dédiées aux temples, on trouve des villes de montagne et puis enfin des montagnes à vocation de temples. La ville de Tiruvannamalai (Tiru pour faire court), qui est à 200 km au sud-ouest de Chennai, fait partie de cette troisième catégorie. C’est l’endroit où Shiva est apparu sous la forme d’un des cinq éléments qui constituent le monde, à savoir le feu.

A “Tiru”, le temple d’Arunachaleshwar est un des temples les plus larges de l’Inde. En effet, il occupe 10 hectares entourés d’un énorme mur, qui fait presque 500 mètres de long et 250 mètres de large. La construction du temple commença au 9ᵉ siècle et continua jusqu’au 17ᵉ. Une de ses portes d’entrée (appelée ‘gopuram’) fait 66 mètres de haut. Il y a également une très large salle, appelée ‘mandapam’, dans laquelle on trouve 1,000 colonnes de granite sculptées, datant du 14e siècle. Une offrande du dernier Roi de tout le sud Indien, résidant à Hampi (auquel je consacrerai un blog plus tard)

Le temple est situé au pied d’une montagne, qui est un amoncellement de roches granitique, appelée Mt Arunachala. Cette montagne a été de tout temps considérée par les Hindous comme une montagne sacré.

À chaque pleine lune, la ville est envahie par des milliers de pèlerins qui entament, la nuit, une marche tout autour de la base de la montagne, pieds nus, dans un rituel de purification. Une foule de pèlerins, de prêtres, de sadhus (des hommes principalement, habillés de robes couleur safran, qui ont renoncé à tout bien matériel et dévouent leur vie à la quête spirituelle), entament cette marche de 14 km sous la pleine lune. Un spectacle à voir.

Mais, si je suis venu à “Tiru”, c’est surtout pour visiter l’ashram de Sri Ramana Maharishi, un endroit très spécial. Sri Ramana était un sage indien très vénéré, qui vécut durant la première moitié du 20ᵉ siècle.

Il est né en 1879, dans un petit village du sud et parvint à atteindre l’illumination à l’âge de 16 ans, après une profonde expérience d’éveil spirituelle. Après cette expérience, il quitta la maison and se mit en quête du temple d’Arunachaleshwar, qu’une personne lui avait mentionné.

Il y parvint éventuellement, après un long voyage, complètement démuni. Il en fit sa demeure. Après un an, le jeune homme finit par attirer l’attention des pèlerins, et ce malgré lui, car, non seulement il ne parlait jamais, mais en plus, il était toujours dans un état de transe et de profonde méditation. Pour trouver une meilleure solitude, il quitta le temple et habita dans une casemate à une certaine distance de là. Quelques mois plus tard, les pèlerins affluèrent de nouveau. Alors, il prit refuge dans une caverne à flanc de montagne, près d’une source d’eau pure. Il vécut là pendant six ans, comme un ermite. Toujours dans un silence le plus strict.

Au bout de ce temps, les quelques disciples qui lui étaient deja dévoués, le convainquirent de descendre de la montagne pour venir habiter dans un ashram en construction au pied de ladite montagne. Il consentit enfin et se mit meme à reparler, car maintenant il avait atteint la lumière spirituelle. C’était cependant un homme taciturne, qui souriait beaucoup, mais était peu enclin à parler.

Il vécut à l’ashram jusqu’à la fin de sa vie, en 1950.

 

Nombreux sont ceux qui venaient le voir, pour être touché par sa sagesse. Ils venaient exposer leurs problèmes, leur quête ou que sais-je, et avaient toujours beaucoup de questions. Le Maharishi (Grand sage, comme on l’appela dès lors) très souvent ne répondait rien, se contentant de rester assis dans le hall de méditation. Après quelque temps, les questions devenaient de plus en plus rares, jusqu’à ce que le silence revienne. Certains ont fait la remarque que c’était sa façon à lui de communiquer sa quiétude, comme par télépathie. À d’autres moments, il faisait des remarques, mais toujours de façon concise et ramassée.

Pour le Maharishi, la question essentielle à se poser à soi-même était toujours la meme : “Qui suis-je ?”. Une grosse question, à laquelle il est très difficile de répondre. Pour le Maharishi, si l’on veut échapper à la tyrannie de l’esprit, à cette éternelle dualité cartésienne entre le corps et l’esprit, la seule façon est de continuellement se poser cette question “Qui suis-je ?” avec l’accent mis sur le Je. D’où vient ce Je, en notre for intérieur ?

 

Pour tous ceux qui cherchent à surmonter les conflits, la honte, ou encore les peurs profondes, comme on en fait l’expérience dans sa vie à un moment ou un autre, le Maharishi répétait sans cesse la même question. Il est essentiel de toujours revenir à ce dilemme de ‘Qui suis-je ?’, encore et toujours. Pour graduellement identifier qui Je suis, dans le plus profond de soi-même. La réponse émergera éventuellement au fur et à mesure que l’on parvient à cet état de tranquillité, un stade où toute notion de dualité d’abord diminue, puis se dissipe, pour atteindre la félicité pure : la conscience spirituelle.

Pas le type de question qui préoccupe l’esprit rationnel pur et dur, qui pense que tout n’est que question de cause et effet, de logique et de raisonnement linéaire. En Inde, cependant, une très vieille sagesse veut que le monde spirituel est non seulement compatible avec un monde rationnel, mais veut que les deux doivent évoluer parallèlement, faute de quoi les foudres de Shiva se feront entendre. Naissance et destruction sont un cycle perpétuel que rien au monde ne changera. Le Maharishi, lui, pensait que la nature profonde du Soi est constituée de la conscience pure, et que l’ego, ou l’identité individuelle, est une illusion qui obscurcit la véritable nature des choses.

 

Durant sa vie, Ramana Maharishi attira une très large audience de dévots. Et en Inde et de par le monde. Ses enseignements ont inspiré beaucoup de personnes, et son ashram à “Tiru” demeure, à ce jour, un lieu de pèlerinage pour ceux qui cherchent à se frayer un chemin spirituel.

L’ashram est dirigé aujourd’hui dans le même esprit que celui favorisé par le yogi durant sa vie. Tout le monde est le bienvenu et peut y séjourner aussi longtemps qu’il le souhaite. Personne ne vous demande quoi que ce soit, meme pas de l’argent. Quotidiennement, l’ashram propose un repas gratuit aux pauvres et nécessiteux, parmi lesquels on trouve beaucoup de sadhus (“Tiru” en compte quelques milliers qui vivent à la belle étoile, sur le périphérique autour de la montagne)

On y trouve également beaucoup d’occidentaux, certains pour quelques jours, d’autres pour quelques mois. Tout age, genre et conditions. Tous en quête de quelque chose. Sauf pendant une cérémonie, les salles et le temple sont silencieux. Tout le monde est assis par terre, soit sur un petit tapis, soit un coussin.

Ramana Maharishi est un des sages le plus vénéré aujourd’hui en Inde. Ses enseignements ont un effet profond dans le paysage spirituel du pays et au-delà dans le monde.

L’ashram est un endroit spécial ou, si l’on y séjourne quelque temps, on parvient en effet à atteindre un état de quiétude mentale. Peut être devrions nous avoir plus d’endroit similaire dans nos grandes villes, juste pour aller et venir comme bon nous semble. Pour reprendre son souffle, pour ainsi dire. 

PS Si vous êtes intéressé à en savoir plus, je vous conseille un excellent livre par un auteur anglais qui s’appelle Paul Brunton. Son livre, intitulé “l’Inde secrète”, fut écrit dans les années 30. L’auteur fit le tour de l’Inde pour dénicher les yogis, mystiques et gurus qui pourraient lui apporter une réponse à ses interrogations. Son récit est vif, et le dernier chapitre est dévoué à Sri Ramana Maharishi, avec qui il vécut pendant plusieurs mois en 1934.